Ce jour-là je reçois, Charlotte. Nous l’appellerons ainsi par respect de l’anonymat.

Charlotte a 43 ans, elle est assistante médico psychologique (AMP) dans une institution pour adolescents en situation de polyhandicap.

Son métier la passionne et elle est vraiment appréciée des jeunes, des collègues et de la direction. Elle exerce ainsi depuis 2002. En 2012 une restructuration de l’établissement conduit à nommer une nouvelle direction. Un management « technique » s’instaure où l’humain n’a plus droit de cité.

Des personnels sont malmenés, critiqués en réunions collectives. Charlotte prend leur défense, tente d’être entendue par la direction. En vain. De nombreux départs volontaires ou imposés ont lieu. A son tour, elle subit la menace et l’exclusion. Elle enchaine les arrêts de travail puis craque lors d’un burn-out.

Mal épaulée par la Médecine du travail, on lui conseille une rupture conventionnelle qui est refusée par sa structure. Elle finit par accepter un licenciement pour inaptitude.

Inaptitude de quoi ? Le fait de ne pouvoir accepter un management coercitif qui détruit tout autour de soi ? Le fait d’être une professionnelle expérimentée et consciencieuse, d’avoir une personnalité empathique et un sens de la justice, un profil qui n’est plus requis, ni apprécié par la nouvelle organisation ?

Charlotte est aujourd’hui sans emploi, depuis 9 mois. Elle en vient à douter de son identité, de ses capacités. Elle est perdue quant à son avenir.

Après l’avoir écoutée attentivement, je la rassure : ses talents sont intacts, ses aspirations légitimes et sa personnalité précieuse. L’avenir est devant elle en ce tout début d’année.

Nous tentons de comprendre. Les orientations nouvelles de sa structure l’ont confrontée à un environnement devenu « toxique » pour elle. Terrassée, laminée par des années de souffrance, sa reconstruction va prendre du temps. A défaut d’avoir pu agir sur son environnement, son départ va constituer l’opportunité de tracer un nouveau projet professionnel, une nouvelle route.

Le bilan de compétences, parmi d’autres possibilités, est l’outil privilégié pour lui permettre d’y parvenir au fil de trois étapes successives :

  • Tout d’abord clarifier ce qui est important pour Charlotte : nommer ses compétences, affirmer ses aspirations, reconnaître sa personnalité ; l’intérêt est de lui permettre de reprendre confiance en elle sur des bases solides, retrouver une dignité par trop malmenée.
  • Sur ce socle d’un profil de soi bien établi, identifier l’environnement de travail qui convient à Charlotte : choix d’une profession, d’un statut, d’une structure, d’un mode de gouvernance, d’un cadre fonctionnel qui lui correspondent et dans lesquels elle pourra s’investir et s’exprimer pleinement et harmonieusement.
  • Identifier et traiter l’écart entre ce projet et la situation actuelle de Charlotte. Peut-être changer de statut, entreprendre une formation, déménager, convaincre de ses talents l’employeur sélectionné, …

 

Un long et beau processus d’affirmation de soi et de sélection de l’environnement qui lui convient attend Charlotte.

En attendant, Charlotte est fragilisée par cette épreuve, elle est vulnérable comme le sont d’autres personnes dans des situations analogues. Comme elles, Charlotte n’est pas malade, ni incompétente, ni démotivée, ni malveillante. Bien au contraire Charlotte est très investie, loyale, professionnelle jusqu’au bout des doigts.

Parce que le nouveau système ne reconnaît pas ou plus ses talents et ses besoins, elle est déconsidérée et placée en inaptitude puis rejetée en tant que telle.

 

Quel gâchis pour les résidents, les familles, les collègues et au final la direction. Quel drame surtout pour Charlotte.

Pour ne pas me limiter au cas « Charlotte », nous pouvons considérer toutes ces autres situations ou telle et telle personne est mise à l’écart soit en raison de sa différence soit en raison de son origine.

Je pense à ces personnes « autrement » et pourtant si riches de leur différence dont on n’a pas voulu reconnaître les capacités spécifiques, dont on n’a pas aménagé le poste ou que tout simplement on n’a pas écouté. Comme s’il y avait une norme établie à laquelle il faudrait se référer et dont on ne pourrait déroger.

Mon expérience me confirme qu’une population dite « normale » dans le sens d’une homogénéité des comportements, des personnalités à laquelle il faudrait se référer, n’existe tout bonnement pas.

Par contre des personnes qui se considèrent comme telles et qui à se titre déconsidèrent les autres, les percevant comme a-normales, oui cela existe bien trop souvent malheureusement.

 

A nouveau quel gâchis pour tou-te-s

Je peux prendre pour exemple les personnes avec un trouble du spectre autistique (TSA) que nous avons évoquées dans un précédent post, en particulier celles nommées Asperger. J’aurais tout aussi bien m’appuyer sur toute autre soi-disant minorité dont les membres furent qualifiés d’a-normaux, les gentils, les gauchers, les homosexuels, les étrangers, les Roms, les blacks, les timides, les bègues, les mal-voyants, les femmes etc.

 

Pour clore ce post, voici ce que j’ai envie de proposer à Charlotte et à toutes les Charlotte du Monde pour relancer leur carrière et leur permettre de tracer leur route en dépit du rejet dont elles ont été l’objet.

 

Avec ce texte inspiré de Liane Holliday Willey, auteure américaine, diagnostiquée porteuse du syndrome d’Asperger, nous pouvons garder espoir.

CHARTE d’AFFIRMATION DE SOI des Aspergers.

  • Je ne suis pas déficiente. Je suis différente.
  • Je ne sacrifierai pas ma dignité pour me faire accepter par mes pairs.
  • Je suis quelqu’un de bien et d’intéressant.
  • Je suis fière de moi.
  • Je suis capable de me débrouiller en société.
  • Je demanderai de l’aide en cas de besoin.
  • Je suis digne d’être respectée et acceptée des autres.
  • Je me trouverai une carrière adaptée à mes aptitudes et mes intérêts
  • Je serai patiente avec ceux qui auront besoin de temps pour me comprendre.
  • Je ne renierai jamais mon identité.
  • Je m’accepterai pour ce que je suis

(Citée dans le Syndrome d’Asperger, Tony Atwood 2008 p.26 ; Willey 2001, p. 164 Vivre avec le syndrome d’Asperger. Un handicap invisible au quotidien).

Pour qu’en 2021, il y ait moins de Charlotte ainsi jetées de leur emploi.

Pour que Charlotte trouve ou bâtisse l’environnement de travail qui lui convient et où elle pourra donner toute la mesure de son talent.

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