Au fil d’un entretien avec une cliente ayant des difficultés à mettre une distance entre elle-même et les situations rencontrées, le sujet de la différence entre l’empathie et la compassion est venu animer le cours de la discussion.
Ne pas se laisser figer par la souffrance de l’autre mais savoir rester à distance afin de puiser l’énergie nécessaire à son rétablissement moral ou physique… tout un programme !
La psychologue et neuroscientifique allemande Tania Singer nous éclaire sur le sujet grâce à une étude menée en 2015.
D’après ses recherches, notre cerveau serait composé de plusieurs systèmes qui interagissent et s’activent en fonction de ce que nous vivons dans notre environnement. Parmi eux se trouvent notamment :
- le système d’alerte, qui protège du danger
- le système d’affiliation, qui invite à prendre soin de l’autre
Ces systèmes se complètent et agissent simultanément.
À travers cette étude, la question est de savoir comment s’active le système d’affiliation (aussi appelé “care system”) et comment ce système peut inhiber celui de la peur.
Les hypothèses des scientifiques
En premier lieu, les neuroscientifiques ont supposé que l’ocytocine jouait un rôle important dans ce processus. En effet, cette hormone indispensable à l’attachement apaise le système d’alarme toujours en méfiance, à travers l’inhibition des amygdales. Une autre hypothèse a été soulevée : celle du rôle de la plasticité cérébrale.
Est-ce que, grâce à cette malléabilité d’un être humain par l’expérience, les états de compassion pourraient avoir le même effet que l’ocytocyne ?
Expérience et résultats observés
Une expérience a été menée sur 9 mois. Elle consistait à faire expérimenter à des individus l’inhibition de la peur selon trois modules différents, chacun appliqué durant 3 mois grâce à 30 minutes d’exercices par jour
Le 1er groupe appliquait le module de base consistant à gérer ses émotions à la lumière de l’acceptation. Le 2ème groupe régulait sa peur grâce à la mindfulness (des exercices de pleine conscience) en étant à l’écoute de soi. Le dernier groupe quant à lui utilisait un module cognitif davantage basé sur la perception. Les individus de ce groupe étaient invités à se mettre à la place de l’autre et à exercer leur empathie grâce à plusieurs exercices.
Au bout de 6 mois, les premiers résultats ont commencé à apparaître. En observant un cerveau en état de compassion par IRMf, on remarque que c’est le système de récompense qui est activé, et non celui d’affectivité négative ou de douleur comme on pourrait le croire. De fait, les résultats montrent que la compassion réveille des émotions proches de l’amour et de la résilience, donc un sentiment positif de bien-être. Ces effets ressemblent sans aucun doute à ceux produits par l’hormone ocytocine, celle de la satisfaction et du plaisir. Au contraire, lorsque l’individu est en situation d’empathie, cela peut générer un état de stress car il se trouve trop proche de la souffrance de l’autre. Chroniquement, cela peut entraîner un burn-out, comme le subissaient 40% des médecins en 2015.
Mais comment expliquer une telle différence de réaction entre l’attitude de compassion et celle d’empathie ? Ces mots ne sont-ils pas synonymes ?
Contagion, compassion, cognition et empathie
La contagion émotionnelle n’est pas de l’empathie car elle est très souvent inconsciente alors que l’empathie a besoin de faire la différence entre le « soi » et l’autre, de savoir que je partage l’émotion avec l’autre, mais que celle-ci n’est pas mon émotion « à moi ».
L’empathie consiste donc à entrer en résonance avec la joie ou la douleur de l’autre. Il s’agit de rentrer en fusion avec la personne qui souffre, ce qui engendre du stress empathique et active le système d’alarme.
La compassion quant à elle, libère de l’énergie et une volonté que l’autre aille mieux. Avoir conscience que l’autre n’est pas moi permet de ressentir une motivation d’atténuer sa souffrance. Il est intéressant de souligner qu’après une semaine d’entraînement en empathie, c’est le réseau de compassion qui s’activera en vue d’inhiber l’inquiétude, au lieu que celui de la peur ne se réveille.
La route cognitive permet de prendre part à la situation de l’autre grâce à une autre attitude. Il ne s’agit plus de se sentir comme l’autre se sent, mais de savoir comment l’autre pense. Cet état plus distant et plus froid permet de comprendre objectivement la situation, ce qui peut faciliter la recherche de solutions.
Ce que nous pouvons retenir de cette étude
En fonction des histoires entendues et des caractères de chacun, ce sera la route affective ou cognitive qui sera mise en jeu. De fait, certaines personnes auront une compréhension cognitive des autres mais moins empathique, tandis que d’autres iront très vite dans la résonance émotionnelle.
La compassion s’acquiert progressivement et nécessite de l’entraînement mental. En inhibant notre système d’alarme qui engendre la peur, la compassion peut réellement modifier le fonctionnement de notre cerveau en régulant les émotions et le stress. L’enjeu actuel serait donc de développer des pratiques, des méthodes et des savoirs pour entraîner ces réseaux que nous possédons tous afin de cultiver la compassion au point de la rendre “chronique”, car cette faculté n’est pas naturelle.
Sources
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